Booka Shade - The Sun and the Neon Light (Get Physical Music - 2008)

août 18, 2008 · Print This Article

La musique dite “pop” se complaît à multiplier genres et sous-genres. C’est sans doute parce qu’il s’agit du plus abstrait des arts que celui-là se plie à un tel artifice. La musique électro n’échappe pas à la règle et on la redistribue aussi bien par sa coloration (industriel, garage etc.), son objectif (dance-floor, night-clubbing ou minimalisme de concert) que par son origine (Détroit, Liverpool, Dublin, Berlin).

C’est de cette dernière ville et d’un pays qui a pratiquement porté la musique électro sur les fonds baptismaux avec Kraftwerk, que viennent Walter Merziger et Arno Kammermeier. Ils forment le duo Booka Shade, et, après la reconnaissance mondiale avec leur deuxième album (Movemento, 2006), ils remettent cela avec un opus intitulé The Sun and the Neon Light. Comme son nom l’indique, ce concept album mixe (à tous les sens du termes) les contraires : le jour et la nuit, la ville et la nature, l’organique et le synthétique, l’intime et le collectif, l’écoute attentive et le défoulement des corps, le micro et la macro cosmos dans un univers toujours aussi futuriste en dépit de l’adjonction entre autres des violons du German Orchestra of Basselsberg.

Derrière l’apparent jeu de la répétition - sorte de credo mortifère disent certains, mais à ce titre Bach l’était déjà - de la musique électro, Booka Shade tient toujours à faire entendre la différence qu’il existe entre une affirmation artistique et une affirmation culturelle. Bref il s’agit de montrer l’écart qu’il existe entre une création originale et un fait de société répondant à des canons - qui comme tous canons possèdent leur mérites et leurs limites. De The Sun And The Neon Light, et au sein même de la répétition inhérente au langage musical auquel cet album appartient, surgissent 14 morceaux tout sauf rigides, durs, austères. Plus que dans leurs deux précédents CD les deux concepteurs concèdent de l’humanité face à ce que la société fait souvent des musiciens électros “un alibi à sa propre inhumanité”.

Ce travail passionnant de bout en bout est doté d’un mouvement constant ou, si l’on préfère, d’une logique interne et d’une continuité qui assurent la jonction entre les divers univers présents ici (proches parfois du disco ou à l’inverse du song-writing). Construit autour d’une sorte de double foyer, les opus ne s’en éloignent pas, mais tout ce qu’il peut y avoir de trop réglé dans le beat électro - et même lorsqu’il est solidement martelé voire amplifié par la basse dans certains morceaux - souligne de façon transparente la construction de l’ensemble par quelque chose qui échappe à la fixité. Le trop construit de manière mécanique disparaît non seulement par effet mélodique mais par dérive presque imperceptible et par éloignement de la règle basique au sein de diverses procédures de variations.

Une nouvelle fois la musique électro allemande prouve sa finesse plus que sa rigueur. “Si les allemands ne sont jamais de grands peintres, ils sont de grands musiciens” affirmait Adorno : Booka Shade le prouve et le fait éprouver. Petit à petit et dans chaque morceau tout se nuance, le “décorps” se découvre : au silence se mélange à la fois un rythme syncopé mais aussi (parfois) un exercice de lenteur. Fausse tonitruance, faux silence “cinématographique” créent un univers qui ne possède rien de claironnante boursouflure lyrique. La musique crache et sidère une rage nerveuse. Toutefois celle-ci se disperse dans la chair musicale qu’elle innerve et investit.

Un tel album devient une sorte de bain d’approfondissement d’un genre qui en son futurisme contrôlé sait faire des emprunts dans de beaux archaïsmes sans toutefois offrir un mélange de connivence. Booka Shade permet d’ajuster le parfum des confusions pour n’en retenir que le débusquement qu’il suscite. Entre le processus électronique et l’étreinte de l’émotion il y a là une sorte de transport, de floraison et de hantise en bordure de genre. Celui-ci relève et recèle subtilement une douceur fossile, résiduelle portée au titre de plus value entre glamour et paranoïa.

Jean-Paul Gavard-Perret

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