TV On The Radio - Dear Science (2008 - Beggars)

novembre 2, 2008 · Print This Article

Tv On The Radio - Dear Science

L’aspect éphémère voire inutile que l’on reproche souvent à la musique rock, pose en fait une question très ouverte et exprime bien son ambivalence historique entre le rêve et le quotidien. Si on la tolère comme un loisir libérateur, elle ne figure pas au tableau d’honneur de l’action créatrice. Pourtant des groupes comme TV On The Radio créent de nouvelles pratiques et peuvent se revendiquer d’une création à part entière, au moment où l’instrument de production (CD) n’est plus dominant sur le marché.

Entre la recherche compulsive de l’amélioration de leur technique et le renoncement à la musique comme simple divertissement, le groupe crée aux USA (comme Radiohead en Europe) une troisième voie, un trajet à suivre dans l’enchevêtrement des styles ou sous-styles que le monde musical développe. Dans cette perspective, l’œuvre si controversée du groupe peut s’affirmer comme une approche alternative à la connaissance d’une musique au projet bien établi combinant un processus de répétition et de création qui renvoie doublement à la praxis par ses aspects techniques et à la poétique par ses aspects esthétiques et ouverts à l’imagination créatrice.

Tv On The Radio - Dear ScienceObservateur-acteur d’un système fonctionnel et économique, TV On The Radio provoque des interprétations de changement d’état, réinvente des franchissements de seuils en en devenant le signal et le symptôme par des métamorphoses. Depuis 2001 et surtout avec deux albums, Desperate Youth, Blood Thirsty Babes (2004) et Return to Cookie Mountains (2006), les new-yorkais ont su faire entendre et jaillir les « voies » de la discorde. Chevillé dans la souche rock, le groupe peut être comparé au Velvet Underground des années 70 plus qu’à Van Der Graaf Generator ou Soft Machine auxquels on les rattache trop souvent sous prétexte qu’il y avait déjà dans ces groupes présence de free jazz et un goût pour l’expérimentation. Mais TV On The Radio a plus d’ambitions : trop peut-être diront ceux qui se sentiront (au moins lors des premières écoutes) perdus dans ce qu’ils prendront à tort pour un capharnaüm sonore beaucoup plus cohérent qu’il n’y paraît. Il existe dans Dear Science ce qu’on pourrait appeler un modèle thermodynamique. L’analogie au moteur n’est pas abusif au sujet d’un opus au titre proche de la technologie. Le CD démarre sur une sorte de préchauffage qui est en fait une mise à l’écoute progressive d’une métamorphose d’un corps rock froid et muet à un corps réchauffé, vitalisé et mnésique.

La légèreté n’est pourtant pas absente de cet album même s’il est marqué comme chez Radiohead d’une plainte. Elle trouve avec David Sitek et contrairement à ce qui se passe avec Tom Yorke, des moments de plein d’air par une respiration devenant vibrante à l’apesanteur aérienne. Être « chaud » comme TV On The Radio c’est avoir vaincu l’inertie et le silence. Et dans cet album le cœur parle par ses battements rythmiques supraliminaires sans que les masses volumineuses du beat deviennent balottantes. La métamorphose est toujours délicate comme si elle s’accompagnait de rituels sécurisants et de conduites maniaques (là encore la référence aux Radiohead n’est pas fortuite). Adepte de l’isolement, le groupe, pour ses créations, est attentif aux moindres signaux qui donnent lieu non à des exhibitions spectaculaires de force et de pouvoirs, mais à une méthodologie rigoureuse qui ne laisse rien au hasard.

La tension, la peur, l’impatience jubilatoire sont les sentiments et émotions de cet album très fécond. Le vertige intérieur y est total car l’expérience musicale pratiquée ici conduit aux retrouvailles avec le vrai rock. Celui-ci se sent revenir lui-même au sein de cet opus dont l’énergie une fois captée passe par le seuil d’un second souffle. L’ensemble peut être défini comme une métaphore musicale confirmant le conflit anthropo-cosmique de tout humain. Il existe en effet dans Dear Science une harmonie qui réconcilie l’homme et sa dimension spéculaire. Ce CD devient un oasis de plaisir dans le désert étouffant d’ennui de musiques machines à sous (même si cette dernière s’enraye depuis quelques temps). Pouvant entraîner l’addiction sans recours à d’autres pratiques hallucinogènes, cet ensemble est un travail déstabilisant, original, fidèle à toute une tradition musicale new-yorkaise. David Sitek, leader du groupe, a su architecturer (ce fut son premier métier) et mixer instinct et, sagesse. Alors que Return to Cookie Mountains partait un peu dans tous les sens et semblait compiler divers types d’approche, Dear science gagne sinon en sobriété du moins en unité. Personnellement aux morceaux plus Trip (”Crying”, “Golden Age”) seront préférés le sophistiqué “Love Dog” ou le romantisme revisité de “Strork and Owl”. Histoire de goût sans doute, mais il se pourrait qu’un tel CD soit de ceux que l’histoire du Rock et de la Pop retiendra même si Sitek n’en est pas convaincu. Il déclare lui-même dans une interview à Rolling Stones : « Je n’ai pas ce genre de certitude. Au-delà du moment magique où elle se crée, je suis totalement incapable de juger de la pertinence d’une chanson. Tout peut d’ailleurs se résumer à cela : la célébration de cet instant précieux où une musique prend forme ». En tout état de cause les voisins new-yokais du groupe, à savoir les Sonic Youth, n’ont qu’à bien se tenir !

Comments

3 Responses to “TV On The Radio - Dear Science (2008 - Beggars)”

  1. Daphné on novembre 2nd, 2008 14:11

    J’ai détesté ce disque. Je m’attendais réellement à être subjuguée, d’après toutes les louanges que j’ai pu entendre. Clairement pas pour moi… Je m’y sens effectivement perdue dans une cacophonie que je trouve finalement assez ennuyeuse. Tant pis, je vais le revendre !

  2. Toto Duchnok on novembre 5th, 2008 13:09

    Je trouve que JP y va un peu fort avec l’originalité du groupe. Si la créativité est présente, elle s’inscrit quand même méchamment dans un courant rock qui grouille un peu partout aux nord des States et surtout au Canada. Il y a une vraie identité sonore entre TVOTR et des groupes comme Arcade Fire, Menomena, Wolf Parade, etc…

    Pas d’exception culturelle, donc, mais un vrai renouveau du rock outre-atlantique.

  3. Lalaland on novembre 7th, 2008 15:00

    J’adore cet album! J’adore ce groupe!
    Dear Science est vraiment excellent. Surtout DLZ qui est ma chanson préférée pour le moment.

    J’adore ce son qui au premier abord parait bordelique. Mais si on s’y intéresse de plus prés ça vaut vraiment le coup.

    TVOTR est l’un des groupe les plus brillant des ces dernières années.

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