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Brigitte Fontaine – J’ai l’honneur d’être (2013 – Universal Jazz)

En 1968, la question était posée quant à savoir si Brigitte Fontaine était folle. Au bout de cinquante ans de carrière comptabilisant une vingtaine d’albums et quasiment autant de livres, la réponse n’est toujours pas si tranchée.

Certes, Brigitte Fontaine reste pour beaucoup la vieille Bretonne azimutée au regard d’aigle et au crâne rasé ‘qui [n]ous encule, avec [s]on look de libellule’, et qui ‘fume à [s]‘en relever la nuit’. Les plus connaisseurs se souviennent sans doute de ses ébats musicaux décalés avec Jacques Higelin, Mathieu Chédid ou Étienne Daho, entre autres, ou de ses prises de position de féministe libre. Mais n’y a t-il donc que cela ? Loin s’en faut.

Brigitte Fontaine est une artiste. C’est là toute la classe et la grâce de ce nouvel album J’ai l’honneur d’être, nouveau maillon d’une carrière très riche. Fantasque et allumée, baladant sa carcasse excentrique sans retenue, la sage sorcière équilibriste réussit depuis toujours à avoir un pied dans la lune et l’autre solidement ancré sur la Terre, dans la terre. Et, comme dans les albums précédents, c’est souvent au fond des morceaux les plus légers ou poétiques que se cachent les pépites les plus suaves voire érotiques (ce joli « Delta » si délicatement décrit) comme les plus brutes et acerbes, notamment sur la vacuité des mondanités (« Dîner en ville »).

Brigitte Fontaine est différente. Alors évidemment, tout a déjà été dit mille et une fois sur la dame. Qu’elle était givrée, rouge, dérangeante, pénible, géniale, baroque n roll… Mais ce qui est trop peu mis en avant, probablement car moins visuellement racoleur, c’est cette constante volonté de livrer des brûlots sociaux sur ses frères et sœurs à la dérive, sur les injustices quotidiennes. Ainsi ce « Crazy Horse » et son clip claustrophobe réalisé par Enki Bilal, rappelant cette sombre histoire d’une femme arrêtée puis incarcérée pour un vol de nourriture et de jouets destinés à ses enfants démunis, ou cette nouvelle charge anticléricale violente : ‘Au diable Dieu, ce vieux mafieux, roi des bigots, secte d’escrocs, de collabos, niqueurs d’ados, brûleurs de vierges, lécheurs de cierges’, qui ne pardonne rien au dogme et à ses suiveurs, sur un fond musical léger et pétillant. De même, un hommage en règle à la population homosexuelle haineusement malmenée dernièrement avec le très naturel « Les hommes préfèrent les hommes ».

Brigitte Fontaine est folle, en effet. De musique. À travers son amour immodéré pour les grosses guitares électriques saturées et lancinantes  (« Amour poubelle ») et les envolées virtuoses au piano (la perle sidérale « Sur un mer gelée »), Brigitte Fontaine fait évoluer son regard sur ce qui l’entoure, ce monde dont elle fait décidément partie, bien plus et bien plus fort que tous ceux qui la pensent hors du temps et piégée dans son image de druidesse d’un univers barré.

L’album J’ai l’honneur d’être est un recueil de chansons réalistes d’aujourd’hui entrecoupées de légèretés à picorer en se léchant le bout des doigts, à l’instar de « J’aime », à l’ambiance années trente bondissante.

Final surprenant, une ode à son père, extrêmement touchante et intime, inhabituelle et qu’elle a déjà annoncé ne pas avoir la force de porter sur scène.

Brigitte Fontaine est. Et qu’elle en soit louée.

  1. Crazy Horse
  2. Au diable Dieu
  3. Sur une mer gelée
  4. Delta
  5. Les Crocs
  6. Amour poubelle
  7. L’Île au cœur d’enfant
  8. Dîner en ville
  9. J’ai l’honneur d’être
  10. La Pythonisse
  11. Les hommes préfèrent les hommes
  12. J’aime
  13. Père

Site officiel : http://brigittefontaine.artiste.universalmusic.fr/

Mais aussi  : http://www.facebook.com/pages/Brigitte-Fontaine/198966566783729

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  1. Quel silence. Pourquoi ne pas prendre la parole?