Chorus (1978-1981), coffret 3 DVD (INA – 2010)

Chorus DVD (INA)CHORUS LINE

Pour les plus vieux – ou les moins jeunes – des lecteurs des Immortels, Antoine de Caunes, avant de devenir la star de Canal Plus et un réalisateur ambitieux mais qui n’arrive pas à convaincre, fut l’instigateur des premières grandes émissions de rock à la télévision française. Elles tranchèrent toutes par leur impertinence. Et en particulier la première d’entre elles : Chorus. C’était le dimanche à midi sur Antenne 2 au moment où sur la première chaîne le Jour du Seigneur finissait ! C’est dire le choc des cultures.

Pourtant le rock était déjà bien installé : on était déjà en 1978. Mais à la télévision, en dehors de Pop 2 il n’y avait rien depuis l’époque Yéyé et la bluette Age tendre et têtes de Bois d’Albert Reisner. Grâce à ses relations, De Caunes alors assistant réalisateur à l’Agence Sygma, sauta presque par hasard sur un créneau rendu libre par la suppression de l’émission Blue Jean. Son idée était simple et copiée sur une émission radio d’Europe 1 (Musicorama) : la diffusion hebdomadaire de 40 minutes de concert de groupes invités pour l’occasion. Réalisée par Claude Ventura, Chorus dura jusqu’en 1982. Elle servit de relais à une nouvelle vague d’artistes : The Clash, The Cure, Police, Jam, Stranglers, Undertones, XTC, Siouxsie and The Banshees, Magazine, Madness, The Pretenders, Elvis Costello, The Ramones.

Cet ovni dans le ciel télévisuel français imposa pour la première fois le rock comme phénomène culturel. Mais son instigateur eut l’intelligence de ne pas en faire une sorte d’état des lieux. A l’inverse il accompagna la mutation profonde du rock à une époque clé de son évolution. De nouvelles esthétiques musicales naissaient sur les ondes de choc initiées par le punk. Il venait de bousculer en quelques mois les grandes machines devenues molles de la génération précédente (Rolling Stones, Who, etc.). Présentateur et producteur de l’émission De Caunes avait déjà le sens de l’impertinence. Et les (brèves) interviews qui accompagnaient les concerts gardaient toujours un aspect décalé. Ajoutons l’invention visuelle de l’enrobage de l’émission dont le générique de Kiki Picasso et du collectif Bazooka.

Toute une esthétique urbaine se mettait en place et la France découvrait les nouvelles icônes de l’époque : de Blondie à Devo, de Tom Verlaine à Richard Hell, de Siouxie à Joe Strummer ou Captain Beefheart. De Caunes dans son kaléidoscope n’oublia pas les groupes français. Téléphone bien sûr et l’émission s’enticha de sa bassiste (Corine Marienneau). Mais il y eut aussi Trust, Starshooter, Marquis de Sade ou encore Taxi Girl. Le journal « underground » de l’époque Actuel du regretté Bizot trouvait donc un écho télévisuel, écho perdu aujourd’hui si on excepte le Tracks d’Arte.

Le coffret de 3 DVD comprend neuf heures de programmes. Chacun y trouvera ce qui le branche. En particulier les interviews décalées de de Caunes et de son acolyte Jacky aux mimes décalés (avant qu’il ne sombre dans le club Dorothée). On y retrouve Higelin en short léopard, les Clash à la sortie de London Calling ou encore Kraftwerk avec Radioactivity pour signer la naissance de l’électro. Bref toute la scène post-punk et new-wave y est présente et « de visu » fait bouger les lignes.

Revoir ces images n’est pas un simple acte de nostalgie. C’est redonner une perspective à l’histoire et à la culture du rock au moment où il était replongé dans un creuset d’effervescence. Succéda ainsi au pire – à savoir Blue Jean, émission en playback enregistrée dans le sous-sol du Théâtre de l’Empire, fief des émissions de Jacques Martin où sévissaient des artistes de variété qui venaient pousser la chansonnette accompagnés de pom-pom girls – un moyen de renouveler la scène musicale et qui plus est avec un budget dérisoire. Ce handicap devint un plus même si de Caunes caressait un projet plus documentariste plus coûteux et qui ne verra le jour que plus tard. La loi économique imposée au réalisateur à l’époque était simple : les groupes n’étaient pas payés. Ce qui exclut d’emblée les “dinosaures” trop chers et déjà entendus.

Chorus devint donc par la force des choses le premier élément de mise à feu d’une fusée que le créateur continua de lancer ensuite par d’autres voies. Face à l’esprit de sérieux qui prédominait à l’époque sur les antennes De Caunes imposa ce que beaucoup espéraient sans trop y croire : un esprit caustique et novateur en rupture avec les transmissions musicales de l’époque. Chorus fut perçu pour ce qu’il était : d’une modernité incroyable qui bénéficia d’un moment particulier que De Caunes définit ainsi : « une parenthèse enchantée dans toute l’histoire du rock au moment où ça part dans tous les sens ».

Ne supportant pas l’idée de sérieux le réalisateur eut l’intelligence de ne pas se mettre au service d’un courant spécifique au détriment de tel autre. Et si le rock progressif le saoulait cela ne l’empêcha pas de présenter Magma (ce qui est le signe d’un certain courage !…). Tout ce qui est retenu dans ces DVD tient encore la route aujourd’hui. C’est pourquoi l’on regrette encore plus que des émissions comme Chorus aient pratiquement disparu. En dehors de Tracks déjà cité ne demeurent que Taratata de Nagui (dont les duos improbables ont leur milite) et la Musicale sur Canal+ (présentée par Emma de Caunes…). Leur impact n’a pas l’importance de celui que connut Chorus. D’où la frustration par contre coup que procure ce remarquable coffret. Sa sortie est accompagnée (fortuitement ?) de celle du Dictionnaire amoureux du rock (Plon) de de Caunes. Mais à l’auteur on préfèrera le « performer » télévisuel, celui qui après Chorus donna Les enfants du rock, l’excellentissime Rapido et encore quoique d’un autre registre Nulle part ailleurs.



Laissez un commentaire

Dîtes nous ce que vous en pensez...
ah oui, et si vous voulez avoir un avatar, cliquez sur gravatar!