The Qemists, Beat Assailant, Missill, Naive New Beaters, Lexicon à Marsatac – Marseille, 24 septembre 2010

En 1938, sur la Canebière, le grand magasin Les Nouvelles Galeries prenait feu. Sa structure métallique et sa décoration de bois et tissus l’embrasent à une vitesse monstre. Un grand colloque, pour décider de l’avenir de la ville alors en situation politique difficile, est organisé de l’autre côté de la ville et mobilise une grande partie des policiers ; en sous-nombre sur la Canebière, ils ne peuvent gérer la circulation automobile et l’afflux de badauds qui gênent l’intervention des pompiers : ceux-ci ne parviennent pas à accéder aux lieux à travers la foule pressée dans la rue. Les voitures roulent sur les tuyaux d’eau, en détruisant certains. Le chef des pompiers est rapidement blessé et laisse sa troupe sans tête. Non loin, un employé du service des eaux, constatant une baisse soudaine du débit et n’étant pas au courant qu’un incendie grogne, pense à une grosse fuite et coupe l’alimentation, privant les soldats du feu de l’eau de ville. Le bilan est très lourd : 73 morts, des dizaines de brûlés, le bâtiment entièrement détruit. Témoin impuisant de la catastrophe, Édouard Daladier, président du conseil des Ministres et présent au colloque cité plus haut, hurlera cette phrase légendaire : ” N’y a-t-il donc personne pour faire régner l’ordre dans cette ville ?”

Marseille a mis des années à se remettre de la catastrophe qui a été autant humaine que politique. Et aujourd’hui encore, l’écho du cri de Daladier résonne souvent. Marseille est une ville bouillante, où règne un chaos tout méditerranéen et où plane une histoire riche de rebellions, mais aussi d’oppression (les forts enclavant le Vieux-Port ont été construits sur ordre de Louis XIV dans le but de contrôler les flux de la ville). La personnalité de la cité phocéenne est très empreinte de ce passif extrême. Bordélique, révoltée, mais aussi à la fois méfiante de la nouveauté et de l’étrange. Les populations sont variées, mais rarement mélangées. L’organisation des événements culturels modernes, alternatifs, y est compliquée. Le festival Marsatac le sait. Ces trois dernières années, il s’est tenu en trois endroits différents.

En 2010, il s’installe sur la Friche de la Belle de Mai, ancienne immense manufacture de tabac réhabilitée en “pôle médiaculturel”. On y tourne Plus Belle la Vie, la chaîne locale y possède ses plateaux, des radios y ont leurs studios, des ateliers d’artistes y ont ouvert et le Cabaret Aléatoire y propose fièrement de nombreux concerts. La configuration du lieu est encore meilleure que sur l’esplanade J4 ou qu’aux Docks des Suds : plus d’espace, salles plus grandes, plus de stands et de bars.

Marsatac - Photo © Pirlouiiiit

Photo par Pirlouiiiit - Concert and Co

La com’ est au poil cette année. L’identité visuelle est toujours signée Tabas, graphiste marseillais en vogue ; mais la nouveauté, c’est le foulard. Symbole multiple : utilisé autour du cou pour préserver la voix des chanteurs ; utilisé en bâillon pour censurer des propos ; utilisé en lien pour attacher, unir des mains ou des objets. Autant de sens imaginables qu’il existe de musiques, en fait. La mise en scène occupe parfaitement le lieu, ancienne friche industrielle faite de hauts murs, grands espaces, structures immenses. Projection géante de photos, jeux de lumières, grafs ; c’est travaillé. Le festival surfe aussi sur la vague verte : poubelles de tri, toilettes sèches, promotion des déplacements doux et collectifs.

L’affiche est toujours aussi éclectique, tournée vers les musiques actuelles à tendance (plus ou moins) électronique et d’origines (très) mixtes. Mr Oizo est le grand nom ; suivent Féfé, Le Peuple de l’Herbe, The Killer Meters, Naive New Beaters, Beat Assailant entre nombre d’autres. Pour des raisons logistiques, Les Immortels n’ont pu être présents que le vendredi soir, et pas sur toutes les scènes. Qu’importe, l’important est de rapporter.

Il ne sera peut-être pas nécessaire de parler encore une fois de la prestation de Beat Assailant, qui jouaient à La Cartonnerie (gigantesque), et qui ont déja eu l’honneur d’être le sujet de plusieurs articles en ces lieux. Mais, oh, après tout, la situation est différente, et le concert l’était un peu aussi. En festival, la durée est comptée, et une heure de BA c’est trop court. Le son était correct, le groupe toujours aussi agréable, mais le show donnait sa version raccourcie. Le medley final habituel a embrasé le public. Pas vraiment de surprise, mais toujours du bonheur.

Au Cabaret Aléatoire, Beardyman met le feu à la piste en proposant un set puissant et semble s’amuser comme un dingue, faisant jouer avec lui le public marseillais – pourtant réputé exigeant. Une parfaite mise en bouche pour le set de Missill, sur l’esplanade. La Djette saute partout et envoie bombe  musicale sur bombe musicale, enchaînant rapidement (rarement plus d’une minute entre chaque titre), jusqu’à en perdre les pédales ; ou plutôt, jusqu’à les plonger dans la semoule. Les titres ne sont pas calés, les pains s’accumulent, mais le public très chaud n’en prend pas ombrage et Missill s’investit complètement, hurle, sautille, lève les bras. L’ambiance électrique prend le pas sur les fautes techniques, et le désastre est évité. On n’échappe bien sûr pas au remix de Tetris qui clôture chacun de ses sets.

De retour au Cabaret, Lexicon met de longues minutes à s’installer. Et ne convainc pas le public ; leur Hip Hop Pop hippie psychédélique dénote un peu à cette heure avancée de la soirée, ou la fatigue sedoit d’être contenue. Ils sont gentils, drôles, mais pas à leur place. Une programmation plus tôt les aurait mieux servis. Alors, pour ne pas s’endormir, retour à La Cartonnerie pour voir les Naive New Beaters. Une impression de voir l’incarnation musicale de l’humour Canal+ s’installe. Il faut aimer l’humour potache et l’électro Pop trendy. On passe ; de toute façon, The Qemists va commencer au Cabaret.

Marsatac 2010 - The Qemists

Lexicon a commencé en retard et traîne en longueur. La salle est au tiers remplie, il est 3 heures passées et les Qemists commencent à jouer peu avant que la dernière navette pour la gare s’en aille. Fatalité : le public ne répond plus présent, épuisé et lassé du retard accumulé. Le reste des gens se divise en deux catégories : les gros lourds défoncés qui espèrent un set drum’n'bass puissance teuf, et les autres. Le groupe qui vient de sortir un album entame sa nouvelle tournée live ce soir, et le public paie un peu les pots cassés. Le son aurait été parfait si le technicien en charge des micros des chanteurs savait faire son travail. Bruno MC peinera à se faire entendre, le micro étant carrément éteint par moments ; Matt Rose et Emily auront plus de chance, mais à peine. Vu le niveau élevé des vocalistes, c’est d’autant plus regrettable. La playlist fera la part belle à Spirit in the System, le deuxième album du trio, aux titres efficaces sur scène ; de Join the Q, seront seulement joués “Stompbox”, “Dem Na Like Me” et “Lost Weekend”. Les conditions n’étaient clairement pas idéales pour marquer les mémoires. On espère que les Qemists ne se feront pas une fausse idée du public français sur cette expérience.

Car le public marseillais est difficile. Lorsqu’il aime, il se donne beaucoup. Mais s’il n’est pas emballé, il ne pardonne pas. C’est tout ou rien. La tolérance, la discipline ne sont pas ses points forts : c’est le vestige d’une histoire chaotique, cahoteuse, dont l’événement narré plus avant n’est qu’un des exemples.

Photo du chapô par Pirlouiiiit – avec son aimable autorisation.



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