DJ Shadow, Battles, Half Japanese, Fowatile… @ Nuits Sonores (Lyon) – 01/06/2011

Jusqu’en 2008, le sud de la presqu’île de Lyon, desservi par la gare de Perrache, était le siège de l’immense marché de gros lyonnais. Manifestement, des considérations autant techniques (confinement du site par le fleuve, vétusté des installations) que politiques (le plein centre de Lyon suscite d’autres ambitions), le marché s’est vu délocalisé à Corbas. En attendant que les projets concernant la presqu’ile ne se concrétisent, il ne reste de cet ancien site qu’une vaste étendue de hangars vétustes et d’entrepôts abandonnés. C’est là que, le temps d’une semaine, le festival des Nuits Sonores installe le décor de ses manifestations nocturnes.

A l’ouverture des portes, un peu avant 21h, le public est étonnamment clairsemé. On apprendra plus tard que les lyonnais avertis ne sont pas pressés d’arriver, préférant ne pas prendre le risque de s’écrouler sur le sol en bavant un mélange de bière et de Redbull (sponsor de la soirée) à la fin de la nuit. Les Nuits Sonores en effet portent bien leur nom, et la morne quiétude du marché abandonné sera troublée jusqu’après 5h du matin.

structure A l’entrée, on est excités comme des gamins de devoir traverser une imposante tour au squelette métallique parcouru de néons furtifs, qui diffuse fumée et sons stridents tout droit sortis d’une installation foraine. Derrière, on découvre les quatre scènes, qui seront plus ou moins dédiées à quatre orientations musicales distinctes, separées par un préau rose dont le sol est recouvert de gazon artificiel. D’autres installations géométriques parcourues de multiples écrans jalonnent l’étendue occupée par le festival. Le tout est très réussi ! Devant les panneaux géants qui répètent le programme de la nuit, pourtant, le gigantesque talon d’Achille de la soirée, d’une obscène évidence quand les horaires sont fièrement affichés en format deux mètres sur trois, revient nous serrer insidieusement la gorge ; des trois têtes d’affiche, elles aussi copieusement annoncées par l’équipe de communication, il ne sera possible d’en voir que deux… Sur les deux premières scènes, les matheux de Battles et les Sonics, légendes de la scène garage de Seattle, partageront le même créneau. Les goûts, les couleurs et l’humeur de la soirée ne se discutant pas, les lecteurs me pardonneront d’avoir fait un choix : les bricoleurs de Battles auront ma préférence sur les papys survoltés.
En attendant le coeur du programme, on flâne donc tranquillement d’une scène à l’autre, où les premiers groupes ont déjà commencé leurs méfaits. La balade sera rapidement écourtée, parce qu’on a la chance d’être très vite scotchés par l’un d’entre eux.

A propos de Fowatile, on peut lire ici ou là le nom de Roots Manuva ou, dans un cadre hexagonal, Saïan Supa Crew. Mais le flow du MC enflammé offre une palette impressionnante, du phrasé nasal type B-Real à la chaleur du chant d’un crooner soul. Autour de lui, clavier et batterie électroniques remplacent avantageusement des samples qui auraient perdu un peu de leur force sur scène, et le travail du MC tient alors plus de la production live que du jukebox manuel. En un mot, c’est la vraie bonne surprise de la soirée, à même de vous refiler une monstre patate pour la suite !

Ca tombe bien, on a un peu de temps avant la prochaine grosse affiche, alors j’écoute les conseils avisés de compagnons mieux informés que moi et décide de donner leur chance aux américains pur jus de Half Japanese. Ces vieux routards ont un CV plutôt chargé, de collaborations avec John Zorn et Moe Tucker jusqu’à leur présence à la mort du sieur Cobain… en guest-stars sur son ultime T-Shirt. Sur scène, la dernière mouture du groupe semble proposer quelque chose de moins lo-fi qu’à leurs heures de gloire (relative). Jad Fair est cependant toujours muni d’une guitare playskool qu’il tord dans tous les sens pour faire venir des sons d’ailleurs, en phase avec son obsession pour la science-fiction qu’il semble tenir de Franck Black. Pourtant, en dépit des aspects gentiment grotesques de la performance, l’efficacité des power-chords et l’évidence des refrains sont indéniables. Après que Fair ait définitivement démoli son jouet, on filoche quand même rapidement vers la scène 1 pour ne pas manquer une miette de la suite.

djshadow

Le cultissime DJ californien, auteur du tout premier album entièrement basé sur des samples, a la solide réputation de bouder sur scène ledit album, Endtroducing… Le lecteur confirmera ou non ce que je qualifierai maintenant de rumeur, car ce soir une bonne partie du set piochera allègrement dans ce petit bout d’histoire. Caché dans un écran sphérique où sont projetés de superbes visuels psychédéliques, ce sont bien « Building Steam With a Grain of Salt », « Long Stem » ou encore, en final triomphal, le fameux « Organ Donor » que DJ Shadow mixe librement pour les faire dériver vers des versions épileptiques proches du breakcore. Le public apprécie, encourage, s’enflamme tant et si bien que je me retrouve un peu ailleurs dans tous les sens du terme à la fin du set.
Après une courte vidange et un plein du gobelet, c’est exactement au même endroit que je reprends position, en respirant un peu plus puisqu’une bonne partie du public semble moins intéressée par la suite.

battles

Rien ne presse alors, puisque les membres de Battles resteront triturer leurs amplis bien après le début supposé de leur performance. Enfin débute l’expérience, plus ou moins symétrique de la précédente : là où Shadow usait de ses multiples samples pour recréer de toutes pièces des solos torturés de batterie, Battles déconstruit ses instruments traditionnels, les emprisonne dans des boucles inlassables après avoir patiemment disloqué leurs aspects organiques le temps d’une balance interminable et pointilleuse.
Manifestement, le groupe assume sans complexes le départ de Tyondai Braxton, et se contente de jouer les titres d’un nouvel album qui n’est même pas encore officiellement sorti. Exit les voix de hamster sous ecstasy, on se contentera des présences virtuelles de Matias Aguayo et Gary Numan sur les écrans qui bordent la scène. Qu’importe, le public enivré se contente des basses surmixées pour remuer les fesses, et les jeunes branchés crient très fort quand retentissent les premières notes de « Ice Cream » (le single déjà lâché sur le web) pour montrer qu’ils connaissent le groupe. Le début du set est d’ailleurs noyé de basse saturée mais, après un temps d’adaptation ou un réglage tardif, les claviers irrésistibles et cette façon unique de triturer les accords se font plus lisibles et le groupe fait honneur à sa réputation… même si on regrette que les « Atlas », « Tonto » & co ne semblent plus amenés à faire partie de leurs prestations.

A ce moment-là, on comprend la douleur du newbie arrivé un peu tôt ; quatre heures de danses frénétiques, de basses exagérément surmixées et de gobelets renversés commencent à se faire sentir. On comprend alors aussi le choix du sponsor : après tout, un petit coup de Redbull et ça repart, les scènes électro où se succèdent des DJ sets assourdissants semblent en démontrer les vertus. Après l’emploi du temps millimétré, on passe tout de même un moment en mode dilettante et ça fait du bien.

En la traversant dans l’autre sens, la structure métallique révèle tout de même sous ses volutes de fumée, de sons et de lumières un arrière-goût d’inachevé. Entre les ruines repeintes en rose bonbon et les canettes violettes descendues devant les héros mineurs des quatre dernières décennies, on prend vraiment conscience qu’il y a une couille dans le pâté, sans pouvoir décider où exactement. Peut-être qu’on est trop vieux, ou trop jeunes. Ou peut-être que, éclaboussés des splendeurs de l’absurde, on se rend simplement compte qu’on sera toujours un peu les deux à la fois.

(crédits photographiques : http://www.nuits-sonores.com/)

liens :

Myspace de Fowatile (intégrale de l’EP)

DJ Shadow – I Gotta Rokk (son nouveau single)

Battles – Ice Cream (feat. Matias Aguayo)

Video reports de la nuit 1 : Officiel, Petit Bulletin

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1 Commentaire le DJ Shadow, Battles, Half Japanese, Fowatile… @ Nuits Sonores (Lyon) – 01/06/2011

  1. j’adore ta manière généreuse de nous emener avec toi dans le festival, merci pour la virée !!

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