Tori Amos – Night of Hunters (2011 / Deutsche Grammophon)

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En toute subjectivité parfaitement assumée, c’est toujours une bonne chose que d’avoir des nouvelles de Tori Amos. Et comme bien souvent, c’est là où on aurait eu du mal à l’attendre que l’on retrouve la Dame. Comme les yeux les plus aiguisés l’auront remarqué, ce nouvel album est signé chez Deutsche Grammophon, la référence ultime de la musique classique de qualité. Le label allemand, dans le cadre de ses collaborations soignées avec des artistes hors de son milieu parfois un peu hermétique du classique, s’est tourné vers la pianiste rousse qui passe ainsi après Philip Glass et la légende de l’Avant-Garde Luigi Nono. Excusez du peu.

Et ce n’est pas peu dire que d’annoncer d’emblée que cette collaboration est une réussite absolue. En effet, depuis l’album Scarlet’s Walk (2002), sa ballade initiatique à travers les États-Unis, Tori Amos s’était davantage tournée vers des choses plus plastiques, plus graphiques, à l’image des transformations de son propre corps : perruques variées, régime draconien, chirurgie (non parce que l’on peut être une vraie fan et garder ses yeux et son esprit critique, faut pas déconner…), photos léchées à l’excès et retravaillées à l’envi. Les albums parus ont toujours été de très haut niveau, de très grande richesse, mais la femme à nu, flamboyante, arc-boutée sur des arpèges rageuses ou lovée contre des harmonies intimes, semblait bien loin, rangée dans un âge de raison insufflé par la maternité.

Mais voilà, même chez les légendes, les enfants grandissent… Et la petite Natashya a onze ans aujourd’hui. Sa mère peut ainsi se relancer tête baissée dans l’exploration des profondeurs de l’âme avec la vivacité qui était sa marque de fabrique.

Ce nouvel album est donc une alchimie de toutes ces composantes : le fameux label, l’esthétisme glacé, le creuset de la musique classique, la fougue et la sensualité, Natashya, pour revenir aux racines de la musique de Tori Amos, à savoir l’acoustique, le mélange piano-voix, l’authenticité brute, le tout mis ici au service de compositeurs qui ont inscrit leurs noms dans la légende, de Satie à Chopin en passant par Debussy ou bien sûr Bach. Chaque morceau est ainsi une relecture contemporaine de morceaux classiques incontournables interprétée en collaboration avec l’Apollon Musagète Quartet et des virtuoses du Philharmonique de Berlin. Et comme souvent dans les grandes œuvres classiques, les partitions de l’album sont mises au service de l’âme, des sensations. Dès les premières notes du premier morceau  »Shattering Sea », voilà que nous sommes embarqué-e-s dans des mouvements, dans des vagues enivrantes, à l’image du titre. En fermant les yeux, on peut très rapidement deviner la baguette du chef d’orchestre qui virevolte et qui tangue. Ce voyage se poursuit tout le long de l’album, croisant les éléments et la Nature, de la neige à le lune, de l’eau au feu. On y croise Annabelle à la voix profonde, interprétée avec un bel aplomb et un brio épatant par… Natashya Hawley et une muse portée remarquablement par Kelsey Dobyns, la nièce de l’auteure-compositrice-interprète-productrice, qui s’étaient déjà illustrées sur l’incontournable album de Noël Midwinter Graces (2009) et donnent une couleur particulièrement délicieuse et fraîche à l’ensemble.

Il est toujours difficile d’isoler un ou deux titres censément représentatifs, car Tori Amos livre ici, comme à l’accoutumée, un concept homogène où rien n’est laissé au hasard et qui emporte de bout en bout sans jamais se perdre en apartés. S’il fallait vraiment extraire quelque étendard portant l’album, ce serait  »Edge of the Moon » au lyrisme tout en nuances et aux multiples références à une certaine Lucy dans le ciel, qui change soudainement de direction en son milieu. Mais il est toujours dommage d’amputer une histoire de ses composantes et de ses personnages tant ce concept-album est fait pour ne pas se disloquer sans en perdre un peu le fil.

Tori Amos a donc retrouvé sa baguette magique et livre ici un bijou tel qu’on l’attendait depuis un moment, et qui à beaucoup d’égards offre des réminiscences d’Under the Pink (1994) dans ses côtés orageux, ombrageux, intimistes. Elle signe ici l’une de ses plus belles réussites, en relisant des monuments de la musique classiques sans la déguiser, la gâcher ou la moderniser à la hâte, sans tomber dans l’écueil de la moche «reprise», en laissant éclater ce talent qu’elle met au service de ses trois mains, les deux qui parcourent le piano et celle qui chante (d’après ses propres dires) depuis vingt ans déjà.

Foi d’Ear With Feet*, c’est simplement beau.

En concert au Grand Rex le 05 Octobre 2011, seule date française dans le cadre d’une tournée internationale.

*Les Ears With Feet (= oreilles sur pattes) sont les fans de Tori Amos, ainsi baptisés par elle au début de sa carrière.

  1. Shattering Sea
  2. Snowblind
  3. Battle of Trees
  4. Fearlessness
  5. Cactus Practice
  6. Star Whisperer
  7. Job’s Coffin
  8. Nautical Twilight
  9. Your Ghost
  10. Edge of the Moon
  11. The Chase
  12. Night of Hunters
  13. Seven Sisters
  14. Carry

Disponible en édition simple ou en édition coffret bonus avec un DVD incluant un documentaire ainsi que les vidéos de  »Carry » et de  »Nautical Twilight ».

Site officiel : http://www.toriamos.com/

Site non-officiel (mais chaudement recommandé) : http://undented.com/

Site de Deutsche Grammophon : http://www.deutschegrammophon.com/

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A propos Killer Queen
Zone de terreur : Lyon. Spécialiste Goth, Dark, Electro Dark, Indus, New/Cold Wave, Heavenly, Rock sous beaucoup de ses formes.... Amatrice Métal, Jazz, Trip Hop, Punk, Reggae, reprises improbables et pépites étranges de partout. Reine des solutions en tous genres. Grande Prêtresse des Démos. Curieuse notoire.

1 Commentaire le Tori Amos – Night of Hunters (2011 / Deutsche Grammophon)

  1. Ce dernier alubum ne peut faire oublier son album précédent à mon avis bien supérieur : « American Doll Posse ». Tiri Amos y déployait ses multiples facettes et ses chausse-trappes avec une infinie subtilité.

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