Kurt Cobain : étranger au paradis

 Youri Lenquette : Kurt Cobain, « The Last Shooting », Galerie Addict, Paris

 Youri Lenquette obtint par amitié quasi paternelle le « privilège » de réaliser ce qui devint la dernière séance de shooting de Kurt Cobain en février 1994. Le reporter (au mensuel Best à l’époque) avait tissé des liens avec la rock-star que la gloire non assumée entraînait à rester reclus et que la drogue poussait à la paranoïa. Youri Lenquette avait rencontré pour la première fois Cobain aux « Transmusicales » de Rennes (décembre 1991) pour faire une page de couverture du groupe pour Best. Après bien des errances le photographe âgé de plus de 10 ans que l’artiste devint pour lui un ami et un guide. Il le retrouva à Paris puis à Seattle pour la sortie l’album In Utero et de nouveau à Paris quelques mois plus tard lors de ce qui fut sa tournée terminale.

Dans la capitale, Cobain passait souvent dans le studio du photographe. Lenquette ne lui demandait rien. Mais un jour l’artiste se proposa pour une séance. Le rendez-vous est pris sans assistant ni maquilleuse. Kurt arrive avec son groupe, un revolver à la main – du même modèle que celui qui lui servira à se donner la mort. Vue aujourd’hui ce shooting ressemble à une répétition. Lors de la séance, Cobain tente de se maquiller lui-même mais, ayant des plaques sur le visage, une maquilleuse improvisée est appelée. Les photos sont une suite de poses le revolver pointé sur la tempe, dans la bouche ou tendu vers l’objectif. Sur certaines Cobain porte une parure de chef que Lenquette avait ramené du Zimbabwe. Ces scénarisations placèrent le photographe en porte-à-faux et en situation délicate face à l’ange grunge.

Lenquette savait que – quasiment autiste sur certains plans – Cobain était dépassé par son succès et victime de problèmes de communication. Il n’avait ni les épaules suffisamment larges ni le cynisme pour « tenir » face à ce qu’il représentait aux yeux du monde. Néanmoins le photographe n’a jamais senti lors de cette séance une quelconque répétition morbide de ce qui allait se passer quelques mois plus tard. Photographier une rock star avec une arme n’avait de plus rien d’original : c’était là presque un classique du genre, une « figure de style ». Que Cobain lui-même aimait pratiquer.

Respectueux de celui qui fut son ami, le photographe n’a pas cherché à monnayer à l’époque du suicide les photos où Cobain tenait son arme dans la bouche ou contre la tempe. Le photographe est par ailleurs lucide sur cette séance : elle n’est pas pour lui ce qu’il a fait de mieux. Son exposition vaut surtout comme valeur de témoignage et de bilan. Après la mort de Cobain, Lenquette quitta d’ailleurs le monde du rock comme si le départ de la star de Seattle avait mit fin à un certain mythe. Un rêve était clos..

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A propos JPGP
Honorable poète, fin critique et mélomane terrible.

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